L’hyper attendu dernier film de Wes Anderson affiche un casting irréprochable qui tourbillonne, dans une France totalement fictive mais pour laquelle on le remercie du compliment. Ode à la presse écrite et aux histoires qui n’existent que dans les films, préparez-vous à l’entendre plus d’une fois : “c’est du Wes Anderson !”
À l’aube d’un premier numéro, quoi de mieux pour inaugurer notre rubrique cinéma qu’un film sur un magazine ? Certes, le nôtre est un poussin — tout frais et tout à faire, et celui que nous présente Wes Anderson a vécu jusqu’au décès de son rédacteur en chef vénéré.
Incarné par Bill Murray, Arthur Howitzer Jr. a fondé et dirigé avec dévouement le French Dispatch, magazine américain basé dans la ville française d’Ennui-sur-Blasé. Le film ouvre sur le bâtiment du journal présenté façon maison de poupée, jusqu’à arriver au bureau du rédacteur en chef, où l’équipe du journal est réunie autour du corps de ce dernier pour rédiger sa nécrologie. Les souvenirs encore vifs du patron bien-aimé s’immiscent dans quatre récits qui segmentent le film. Une première partie présente le journal et la ville, puis suivent trois “articles” : le portrait d’un peintre moderniste emprisonné, des jeunes gens politisés, et un enlèvement cocasse sur fond d’expérience gastronomique.
Des récits, on se contentera de dire qu’ils sont exquis, imprévisibles et absolument libérés. Chaque saynète éclate à la manière d’un bonbon acidulé. Rien n’est laissé au hasard, c’est millimétré, jouissif.
Fruit de la minutie de ses créateurs, The French Dispatch montre des univers dans lesquels on aimerait entrer pour en déguster chaque détail, couleur et cadrage — quand aura-t’on droit à un musée Wes Anderson ? Du noir et blanc à l’animation en passant par des plans séquences ingénieux, rien n’est trop ambitieux pour l’orfèvre du cinéma indépendant américain. Le réalisateur, qui n’a plus rien à prouver et peut tout se permettre, s’amuse comme un artisan dans son atelier enchanté.
Il y parvient bien, c’est éclatant, mais cela a un coût : celui de l’émotion. Elle est moins engagée que dans ses films précédents. On ne saurait blâmer les acteurs (excellents), mais plutôt un étouffement par la sur-composition, le trop-plein de choses : l’émotion ressort gauche, maladroite, décalée. Heureusement, la bande originale, très soignée empêche de trop se refroidir.
Si vous êtes amateur des univers décalés de Wes Anderson, courez voir ce film ponctué de références au reste de son oeuvre (mémorables grognements du couple Benicio del Toro et Léa Seydoux façon Mr. Fox ou Île aux chiens), ainsi que de références culturelles pointues. The French Dispatch est librement inspiré du “New Yorker”, magazine américain célèbre pour ses sujets novateurs traités avec intellectualisme et toujours un trait d’esprit. Côté références françaises, Clouzot et Tati ne sont jamais loin, et à plusieurs reprises la voix de Christophe appelle Aline depuis le poste radio du café Sans Blague.
Artisan d’une extrême maîtrise, Wes Anderson règne du haut de sa confiserie, et continue de fabriquer des merveilles, nous offrant un accès privilégié à son imaginaire inégalé. Le cinéma peut encore nous faire rêver. Profitons-en, ce n’est pas si souvent.
5 choses que l’Épatant peut apprendre du “French Dispatch”
- Ne pas avoir peur de sortir des rails
- Ne pas avoir peur de prendre des risques
- Ne pas avoir peur de sortir de Paris
- Ne pas avoir peur de la jeunesse
- Se débrouiller pour que ça ait l’air d’avoir été fait exprès
Article tiré du premier numéro d’Epatant,
Par Lucie Buclet