La mise en avant de la question du pouvoir d’achat va-t-elle remettre en cause les changements que nous avions amorcés en matière d’alimentation ? La question se pose notamment avec le recul du bio, jugé trop cher. Et si le pouvoir d’agir alimentaire redonnait des marges d’action quand le pouvoir d’achat se grippe ? C’est la conviction portée par Citoyens&Compagnie.
Depuis quelques années, nombreux sont les consommateurs qui cherchent à reprendre la maîtrise de leur alimentation. On revenait de loin : les ménages ont consacré une part toujours plus faible de leur budget aux achats alimentaires depuis les années 60 et se sont habitués à rechercher les prix les plus bas possibles. Mais les choses ont commencé à changer avec les crises de sécurité alimentaire récurrentes depuis l’affaire de la vache folle. Aujourd’hui, santé, proximité, prise en compte des conditions de vie des agriculteurs, respect de l’environnement, bien-être animal sont des sujets qui ont remis l’alimentation au cœur des préoccupations. Pourtant, les études montrent que l’inflation affecte fortement les choix en matière d’achats alimentaires, le budget que l’on sacrifie en premier.
Et si la crise actuelle était au contraire l’occasion d’accélérer les changements de pratique ? Ce n’est en effet satisfaisant pour personne de réduire la quantité de ce qu’on mange ou de se rabattre sur les premiers prix, qui sont souvent des produits ultra-transformés, moins bons pour la santé. On le sait, modifier son régime alimentaire – et donc la composition de son panier de courses – peut conduire à ne pas dépenser plus : moins de viande, plus de produits frais à cuisiner soi-même, cela fait vite la différence. Mais c’est aussi une transformation d’habitudes qui ne va pas de soi. C’est la raison pour laquelle la question du « pouvoir d’agir alimentaire » devient centrale.
Ateliers de cuisine, jardins nourriciers partagés, circuits courts, information transparente, éducation au goût, lutte contre le gaspillage… : les initiatives se multiplient pour favoriser la transition alimentaire, que ce soit auprès des jeunes dans les cantines, des personnes fragilisées dans les centres sociaux et l’aide alimentaire, de chacun d’entre nous dans la grande distribution.
Ce qui a été lancé à petite échelle dans le cadre d’expérimentation ou d’initiatives locales, il faut désormais le proposer à l’échelle de la population de tout un territoire. Deux choses peuvent y aider : savoir prioriser les transformations ayant le plus d’impact selon la loi des 80-20 (les 20% de pratiques agricoles et agro industrielles à changer pour obtenir 80% des impacts recherchés) ; articuler efficacement implication des citoyens localement dans des ateliers d’intelligence collective et participation sur des plateformes en ligne. On a longtemps dissocié (voire opposé) initiatives associatives en proximité et dispositifs de co-construction en ligne ; il est désormais nécessaire, pour massifier rapidement les résultats obtenus, de construire des solutions hybrides qui ne se contentent pas d’agir sur la consommation, mais qui associent les citoyens à la transformation de l’offre. Il est désormais possible de concevoir avec les citoyens ce qu’est un « produit local engagé », de nouvelles formes de distribution, une restauration durable…
La focalisation actuelle des pouvoirs publics et des grands médias sur la « préservation du pouvoir d’achat » est contreproductive. En matière d’alimentation, plus encore que dans d’autres domaines, le pouvoir d’achat n’est pas un pouvoir ! Maintenir le pouvoir d’achat ne consiste qu’à maintenir le niveau de la consommation. L’enjeu de transformation de nos pratiques alimentaires passe au second plan, voire est reporté à des jours meilleurs qui risquent de ne pas venir si on ne cherche l’amélioration que dans la baisse des prix. Pire, la bataille des prix peut être un boulevard aux importations massives mettant à mal notre souveraineté alimentaire. Chez Citoyens&Compagnie, nous avons envie de dire aux décideurs : vous avez voulu préserver le pouvoir d’achat des consommateurs, accompagnez plutôt le pouvoir d’agir des citoyens en les aidant à se saisir de tous les aspects d’une alimentation saine, accessible et durable.
Nadège Hacq & Freddy Thiburce
Citoyens&Compagnie
Le pouvoir d’agir à plusieurs pour accélérer et massifier la transition agricole et alimentaire.