Crédit photo : Franck Murphy

ON A SAUVÉ UN MAMMOUTH EN PLEIN PARIS !

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Pendant plus d’un an, une bataille féroce s’est déroulée au cœur de la capitale. Abritée derrière les épaisses murailles du Muséum d’histoire naturelle, l’équipe de Cécile Colin-Fromont s’est employée à restaurer un animal unique en France : Le mammouth de Durfort. Présent dans la galerie de paléontologie depuis 150 ans, l’animal présentait des signes inquiétants et réclamait des soins urgents. Passionnée et passionnante, la cheffe de ce projet hors normes nous en livre le détail.

 

E – Plantons tout d’abord le décor… La galerie de paléontologie et d’anatomie comparée renferme l’une des plus belles collections du monde et s’étend sur plus de 2500m². Combien de personnes l’animent ?

L’équipe s’occupe de toute la partie dédiée au musée. Dès que le visiteur pénètre dans la galerie, il arrive dans notre domaine. Je suis directrice de la galerie et cheffe de projets. Je suis accompagnée d’Alexander Nasole, chef de projet sur l’anatomie comparée et de Julien Barbier qui s’occupe plus spécifiquement de ce que nous appelons « la petite maintenance ». Il dépoussière les spécimens, les socles, les mobiliers. Il restaure certaines pièces de la collection. Nous sommes donc trois permanents. À cela s’ajoute ponctuellement des collègues lorsque nous devons opérer des manipulations importantes.

E – Quelle est la grande difficulté de votre action en ces lieux ?

C’est la somme des travaux à réaliser… Nous travaillons dans un lieu magnifique. Un lieu où il ne s’est réellement pas passé grand-chose pendant des années. Nous avons accumulé un déficit de travaux et de maintenance colossal. Il y a tout à faire. Cela fait quinze ans que je suis responsable de la galerie. Nous avons entrepris beaucoup de choses. Ça avance à petits pas dans une démarche globale. Nous avons commencé par reprendre tous les cartels du troupeau central. Après, nous avons actualisé ceux des vitrines latérales. Et ainsi de suite… Tout cela, à trois personnes.

E – Parmi les grands projets de la galerie, il y a la récente restauration du célèbre mammouth de Durfort. Comment initie-t-on une telle démarche ?

Tout a commencé durant la période du confinement. Notre service de mécénat a eu l’idée de lancer un appel aux dons pour permettre de restaurer certains spécimens remarquables de la collection. Ce mammouth est hautement remarquable. C’est un monument en soi. Il est exposé depuis l’ouverture de la galerie, au XIXe siècle. C’est le seul animal de son espèce entièrement monté dans toute la France. Il fait partie de l’histoire du Muséum comme de la paléontologie. L’intervention a été supervisée en collaboration avec des scientifiques chargés de valider les aspects anatomiques et d’assurer la rigueur technique de la restauration.

E – Pourquoi un tel besoin ?

Tous les fossiles exposés ont été reconstitués. Fort logiquement, d’ailleurs. Les os des mammifères, même s’ils sont parfois encore connectés sur site, ont besoin d’être rassemblés pour être exposés. Le mammouth de Durfort a été découvert il y a près de deux siècles. Ses os ont été manipulés et, parfois, reconstitués avec des méthodes qui n’ont plus cours aujourd’hui. On a retrouvé du plâtre, du bois, des colles et des résines. Il a fallu lancer un appel à candidature à l’échelle européenne pour s’associer les compétences de spécialistes de l’espèce et des différents métiers sollicités. On parle de paléontologues, bien entendu, mais également d’ébénistes pour le socle, de forgerons pour les armatures et de déménageurs pour manipuler les os et déposer le squelette.

E – Le poids devait être la grande inconnue dans l’équation, non ?

Tout à fait. Nous n’avions aucune idée précise du poids de tel ou tel élément. On se figurait, au jugé, que le crâne devait peser 150 kilos. Il en pesait, en réalité, plus du triple. Et on ne dépose pas une telle masse, surtout quand elle est perchée à 4m50 du sol, sans les experts les plus affirmés.

E – Sur le long terme, quels sont les périls qu’affronte un tel animal quand il est exposé dans la galerie ?

Ce sont des périls climatiques. À titre d’exemple, le nettoyage des verrières en surplomb de la galerie a fait augmenter la température intérieure du lieu. En juin dernier, il faisait près de 38 degrés dans le bâtiment. Plus largement, les pièces ne supportent pas les variations majeures de température et l’humidité trop importante.

Au contraire d’un fossile dont les os sont totalement minéralisés, ceux du mammouth sont fragiles et craignent ces aléas. Lors de sa découverte, ils étaient très endommagés. Chaque morceau était solidarisé avec l’ensemble par l’emploi d’une colle naturelle à base de cire d’abeille, de fibres, de résines et de pigments. Un mélange qui, bien entendu, reste très vulnérable face au temps et au climat.

E – Comment remplacer ces amalgames ?

On a progressivement curé les éléments les moins viables, toutes les résines fragilisaient et qui menaçaient de céder. C’est, en soi, une opération difficile et pointue. Mais nous y sommes parvenus et nous les avons remplacés par des substances plus stables, réversibles et plus modernes. Un fémur, en revanche, a nécessité un traitement plus lourd. Il faut imaginer une pièce de plus de cent kilos, brisée, qu’il fallait solidifier. Nous y avons inséré des tiges en fibre de verre collées avec un mélange beaucoup plus durable.

E – Il y a également tous les éléments d’armature extérieure qu’il a fallu restaurer…

Nous devions initialement conserver l’intégralité des éléments anciens. Mais quand ils sont revenus du sablage, nous avons constaté de nombreuses fissures et des arrachements. Ils présentaient un risque majeur pour l’intégrité du fossile. Nos ingénieurs ont donc développé une nouvelle armature, à l’identique, évidemment, mais tout en apportant des renforts supplémentaires. Le tout, en utilisant des méthodes plus modernes qu’au XIXe siècle. A l’époque, les pièces de la structure étaient coulées pour constituer des barres qui étaient tordues et façonnées de manière totalement empirique. Aujourd’hui, nous travaillons un alliage spécifique. Des barres normées et homologuées sont commandées spécialement.

E – Comment valoriser un tel spécimen comme il se doit ?

Il faut transmettre son histoire. Ça commence par la presse et les médias. Un numéro spécial de Beaux Arts magazine lui était récemment consacré. Il y a également un très beau documentaire de France Télévision à son propos. Ça passe également par une juste détermination de l’espèce. Il s’agit d’un mammouth méridional, un spécimen plus proche de l’éléphant actuel que du mammouth laineux que l’on voit ailleurs. Il est également plus ancien. Un grand travail de recherche réunissant une quinzaine de spécialistes, alliant la paléontologie, le paléomagnétisme ou la palynologie, vise à étudier plus précisément le site de découverte de notre spécimen. Il reste encore de belles histoires à raconter autour du mammouth de Durfort et de son époque.

Propos recueillis par Jérémy FELKOWSKI.

 

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