Lorsque Edouard de Broglie a créé la célèbre chaine de restaurants Dans le Noir ? en 2004, il y avait tellement de bénéfices clients potentiels qu’il a longtemps hésité sur le modèle d’organisation de ces services. Dans le Noir ? serait de toute manière un ovni dans la restauration et même si presque personne ne croyait au projet à l’époque, lui n’avait aucun doute tellement le succès à venir lui paraissait évident.
Pourtant intuitivement l’entrepreneur opte pour une restauration conviviale avec de grandes tables d’hôtes devenant un des défricheurs moderne de la convivialité. « C’était un risque à prendre » avoue-t-il. « Parfois certains clients nous le reprochent. Manque d’intimité ». Mais la balance inconvénient bénéfices penchent du bon côté, « cela fait maintenant partie intégrante de l’expérience et de notre identité ». Cette obscurité dense, impénétrable offre aux visiteurs une sorte d’anonymat libérateur qui fait exploser les conventions sociales et les aprioris sur le look, l’origine, … On est assis avec ses amis mais à côté de parfaits inconnus. Et on ne sait jamais à côté de qui ! Ses Directeurs lui ont fait quelques farces sympathiques. Une fois il s’est même retrouvé à côté de Tim Burton au restaurant Dans le Noir ? de Londres.
Mais la réalité, c’est que nous réévaluons complétement notre relation au monde et aux autres. D’abord l’obscurité a un effet de concentration sur le sens des choses, de ce qui est dit. Il y a ensuite un effet fantasmagorique dans l’idée de se construire une image mentale de quelqu’un non pas par son apparence mais par sa voix. Le corollaire, c’est que le noir est un tueur d’apriori et génère une convivialité très particulière très « open minded ». Une dimension qui marche à plein régime dans certaines cultures. Les Anglais ont par exemple un côté un peu coincé par les conventions sociales. Ils trouvent à Dans le Noir ? une dimension libératoire (No more shyness !). Une dimension exploitée par Richard Curtis dans son fameux « About Time » dont une des scènes principales est tournée au restaurant Dans le Noir ? lui assurant une notoriété nationale en Angleterre (bien que peu connu en France, le film a connu une carrière comparable à « Intouchable » outre-manche).
Pour Edouard de Broglie, le sujet à la fin c’est qu’on réalise que tout le monde est intéressant, à quelque chose à dire. Toute cette expérience nous ouvre une multitude de petites fenêtres dans la tête. Certaines sont ouvertes sur les autres et finalement vivre une expérience ensemble crée forcément un lien particulier.
Nous avons régulièrement des gens qui viennent célébrer l’anniversaire de leur rencontre chez nous, pointe Baptiste Fouillet le Directeur de l’établissement historique rue Quincampoix à Paris. Il y a aussi ces gens qui se rencontrent pour la première fois chez nous relance Camille Léveillé, Directrice de la marque Dans le Noir ? à Paris. Ils nous demandent de les faire rentrer dans la salle noire sans les présenter avant pour qu’ils se découvrent dans l’obscurité sans aprioris visuels.
Ils choisissent de se dévoiler à la fin de l’expérience, ou pas parfois… Nous avons d’ailleurs des offres encore plus pointues comme notre atelier « La Malle aux Parfums » dans notre espace sensoriel ou 6 à 8 inconnus passent une heure et demie ensemble à la découverte d’odeurs proposées par Tiffany, une malvoyante experte des parfums. Les odeurs et les parfums déverrouillent des souvenirs à la façon des madeleines de Proust. Des souvenirs parfois intimes que l’on partage plus facilement, car l’anonymat de l’obscurité libère la parole.
Cela donne des moments assez forts en émotion ou les gens se livrent, créent des liens. C’est parfois à la limite de la thérapie, conclue le fondateur.