Chaque année en France, 10 millions de tonnes de nourriture termineraient à la poubelle. Ors 32% de ce gaspillage commencerait tôt, dès la production (rapport ADEME 2016). En effet producteurs et distributeurs opèrent une sélection drastique des produits qu’ils mettent sur le marché. Les fruits et légumes ayant des défauts ou hors gabarits sont ainsi jetés ou jamais distribués. Du côté des agriculteurs et maraichers, cette sélection engendre évidemment des pertes importantes. Mais les choses bougent. Tout se recycle, se transforme. De nombreuses initiatives ont vu le jour ces dernières année. Nous avons choisis l’exemple de NoFilter, une marque montée par deux entrepreneurs dans le Val de Loire, Marin Mulliez et Arnaud Lebert, pour comprendre le sens de leur engagement social et environnemental. Une initiative parmi d’autres au milieu de ce petit tour d’horizon d’un marché en pleine explosion.
ENTRE ASSOCIÉS
C’est donc un modèle économique original et engagé, qui permet aux agriculteurs associés de mieux valoriser leur production et de réduire les pertes alimentaires tout en leur procurant un revenu complémentaire. Des exploitations qui en ont souvent besoin pour consolider leurs revenus. « En effet, environ jusqu’à 30% de la production annuelle de nos agriculteurs ne quitte jamais les exploitations, souvent à cause de normes esthétiques qu’imposent les circuits traditionnels de la distribution » plaide le fondateur.
« Le métier de NoFilter est de valoriser les écarts de tri des agriculteurs pour en faire de bons produits, sains et délicieux » explique Marin Mulliez avec un vocabulaire un peu technique pour une démarche qui reste volontairement très artisanale. L’idée ici est de travailler en étroite collaboration sur le long terme avec des agriculteurs par filière (pomme, carotte, tomate, …) et d’en faire des associés. Les agriculteurs deviennent ainsi actionnaires de l’entreprise qui partage une partie de ses bénéfices.
Ces fruits et légumes “imparfaits” sont cependant tout aussi bons et c’est là qu’intervient NoFilter, en rachetant à un prix équitable ces invendus, afin de les transformer en produits artisanaux (jus, compotes, sauces, soupes, etc.) à destination de la Grande Distribution. Pour soutenir en particulier les petits exploitants, NoFilter a même lancé un nouveau concept, La Cantine, afin de développer dans ses propres lieux une offre de bocaux cuisinés végétariens (entrées, plats, desserts), dont les ingrédients proviennent des invendus des petits maraîchers. Ce nouveau projet vise à intégrer tous les agriculteurs à sa démarche, du plus gros au plus petit !
TROP BON POUR LA POUBELLE …
No Filter est loin d’être seul sur ce marché en forte croissance du légume moche et de l’antigaspi ! Le mouvement a sans doute été lancé et inspiré par Too Good To Go, une application mobile qui met en relation ses utilisateurs avec des boulangeries, supermarchés, fleuristes, etc. afin de leur proposer des invendus à prix réduits (4 ou 5 Euros dont l’application garde 1 €uro) sous la forme de paniers à sauver. L’intérêt aux commerçant est de ne plus jeter leurs invendus en récupérant environ 25% du prix de vente tout en faisant découvrir leur commerce à une nouvelle clientèle. L’idée est née au Danemark sous l’impulsion d’une française énergique, Lucie Basch, diplômée de l’école centrale de Lille. Lors d’une première expérience professionnelle, la jeune femme est choquée par les méthodes de l’agro-alimentaire. L’entreprise qu’elle crée en 2016 est devenue une pépite de la French Tech et travaille avec de grandes enseignes comme Intermarché. Elle fusionne avec une marque espagnole et se développe dans de nombreux pays en Europe. En 2021 l’entreprise lève 25 millions d’Euros pour se développer notamment outre Atlantique ou elle a ouvert en 2020. En l’espace de sept ans, la société qui compte désormais plus de 1 200 salariés dans 17 pays, a déjà sauvé plus de 300 millions de repas de la poubelle (300.000 par jour récupérés auprès de 150.000 commerçants). Lucie Basch croule sous les récompenses et a intégré de multiples organismes ou comités.
L’ANTIGASPI, CA POUSSE !
Dans ce sillage, de jeunes pousses naissent notamment à l’occasion du premier confinement comme « Hors-Normes » commercialisé sous la marque Bene Bono créé par Grégoire Carlier, Sven Ripoche et Claire Laurent en avril 2020. Ce service de livraison permet aux agriculteurs français et fabricants engagés de commercialiser leurs bons produits, qui seraient refusés par les circuits traditionnels, pour des raisons esthétiques ou logistiques. Les clients achètent des produits alimentaires bio 40 % moins chers qu’en magasin notamment au travers de « paniers antigaspi ».
L’entreprise « Atypique » basée à Lyon se présente elle comme le premier grossiste de fruits et légumes déclassés 100 % français qui livre les professionnels de la restauration de toutes tailles, de Sodexo au restaurant indépendant. Même profession de foi, lutter contre le gaspillage alimentaire et soutenir les producteurs français en proposant une large gamme de fruits et légumes de grande qualité, 100 % français et labellisés Bio ou HVE. Crée en 2021 par Simon Charmette et Thibault Kibler, l’entreprise vise le volume et connait une croissance rapide avec près de 30 salariés et compte doubler de taille au moins en 2024 en se déployant sur de nouvelles régions. Elle revendique 110 producteurs membres de son réseau et prés de 650 clients professionnels et vient de remporter le prix Agrica dans la catégorie “Valorisation”, un prix récompensant les initiatives contre le gaspillage alimentaire.*
Interview de Simon Charmette – Co-Fondateur et Président d’Atypique
La période post Covid est actuellement marquée par de fortes contraintes budgétaires, rendant le gaspillage un peu plus absurde, et notre activité de sauvetage plus pertinente.
La production cherche constamment à s’adapter à la demande (en volume et en qualité), mais ce n’est pas toujours possible sur la qualité (ex : produits hors calibres depuis plusieurs décennies) et les mouvements de volume sont parfois brutaux (ex : chute du bio ces dernières années) et il sera toujours nécessaire d’avoir un acteur comme nous pour venir s’occuper de ce qui ne rentre pas dans les cases.
E – Avez-vous des ambitions à l’international ou êtes-vous encore absorbés par votre développement en France ?
Nous sommes pour l’instant concentrés sur le déploiement de notre modèle en France, avec pour ambition de pouvoir livrer la France entière d’ici fin 2024. Nous sommes convaincus que la France n’est pas une exception sur ce sujet du gaspillage et souhaitons nous déployer en Europe par la suite pour répondre aux enjeux présents dans les autres pays.
E – Vous avez choisi le modèle B to B pour contribuer à la réduction du gaspillage alimentaire contrairement à To Good to Go qui joue plutôt la carte B to C. Qu’est-ce qui vous a orienté vers cette voie ?
Plusieurs raisons nous ont poussés dans cette direction. Tout d’abord, peu d’acteurs travaillent sur ce segment de l’antigaspi à la source, alors qu’il représente la majeure partie du gaspillage, ensuite, c’est un domaine que je connais personnellement étant fils d’agriculteur. Enfin, en B2B, nous arrivons à nous affranchir en partie des attentes inconscientes des consommateurs particuliers concernant l’aspect des produits. Cela est d’autant plus vrai quand les produits finissent dans une casserole, et donc quand le convive final n’y voit que du feu.
E – Comment analysez-vous l’évolution du gaspillage alimentaire pendant la période post Covid ?
Nous avons créé Atypique en 2021 et avons commencé à avoir des volumes significatifs en 2022, après les principales vagues de Covid.
Dans la distribution, les choses bougent aussi. Les épiceries antigaspi “Nous” proposent des fruits et légumes différents dans leurs rayons depuis plus de cinq ans. L’enseigne crée par Vincent Justin et Charles Lottmann en 2018 à Rennes a maintenant plus une vingtaine de magasins et une boutique en ligne. Petits défauts physiques, anciens emballages, produits dont la date de durabilité minimale est proche, voire dépassée… Tous ces produits n’avaient jusque-là aucune issue de revalorisation globale. Sauvés du gaspillage, ils proviennent d’agriculteurs locaux, de grossistes, de petites entreprises ou de gros industriels.
LES FONDS A L’AFFUT
Du coup les fonds d’investissement sont à l’affut. Vincent Fauvet qui dirige Investir & +, un fond a impact qui rassemble 90 entrepreneurs a succès désireux de soutenir des projets ayant un impact social et environnemental positif, a participé au dernier tour de table d’Atypique. Dans l’antigaspi, il distingue l’amont de l’aval selon le moment où on récupère les marchandises pour les remettre dans le circuit. Tout en aval le fond a d’ailleurs investi dans « Les Alchimistes » qui recycle les déchets alimentaires pour les composter.
Mais la plus grosse levée de ces dernières années a été celle de To Good to Go. Sur les 25 Millions levés en 2021, plus de 12 venaient de Bisque, le fonds d’investissement d’Alexandre Mars, et le reste de ses investisseurs historiques et de ses salariés. Il semble d’ailleurs que l’investisseur ait eu un peu de mal à convaincre la fondatrice qui ne voulait pas au départ intégrer de fonds d’investissement dans son capital.
UN ENGAGEMENT TOTAL
Dans cet univers jeune, dynamique et engagé, NoFilter cherche sa différence mettant en avant ce que les fondateurs considèrent comme une vision nouvelle de notre alimentation basée sur un modèle « Sans Filtre, plus uni, engagé et transparent ». Des relations à long terme avec les agriculteurs-actionnaires mais aussi avec les artisans partenaires garants de la qualité des produits. Une démarche militante et sans concession. Grâce à son partenariat avec « La Ressourceraie », structure spécialisée dans les différentes filières de valorisation des végétaux, NoFilter travaille sur la valorisation des co-produits (déchets générés lors du process de transformation), notamment grâce à la fabrication de biomatériaux à base de résidus végétaux (pomme, tomate, carotte, etc.), afin d’offrir des alternatives crédibles aux enseignes de la Grande Distribution dans l’approvisionnement de leurs PLV et linéaires. L’entreprise est certifiée B Corp comme beaucoup d’acteurs du secteur. Elle est très attachée à la transparence de son modèle aussi bien envers les consommateurs que vers les agriculteurs partenaires.
Un chemin de traverse vers un l’avenir plus solidaire et responsable ?!
Arthur ATLAS
Pratique et plus d’infos :
Luter contre le gaspi, c’est épatant … Distributeurs, restaurateurs, particuliers, vous n’avez plus aucune excuse … à vous de jouer !
NoFilter : www.nofilter.eco
To Good to Go : www.toogoodtogo.com/fr
Hors Normes : https://benebono.fr
Atypique : www.atypique.eco
Nous – anti gaspi / réseau d’épiceries solidaires :