“PLUS JE VOYAGE, PLUS J’ADORE LA FRANCE”

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Interview de Frédéric Mazzella,
président-fondateur de BlaBlaCar et de Captain Cause.
Propos recueillis par Arthur Atlas.

APRÈS LE BLABLA, LE CAPTAIN CAUSE !

Frédéric Mazzella est président-fondateur de BlaBlaCar et de Captain Cause.

BlaBlaCar est le leader mondial du covoiturage avec 100 millions de membres dans 21 pays, et Captain Cause est la nouvelle plateforme qui révolutionne l’engagement des entreprises en faveur des projets à impact social et environnemental. Frédéric est par ailleurs Co-président entrepreneur de France Digitale, la plus grande association de startups en Europe, et animateur de l’émission hebdomadaire «Les Pionniers» sur BFM Business dans laquelle il reçoit notamment explorateurs, artistes, entrepreneurs et sportifs pionniers dans leur domaine.

Frédéric est diplômé d’un Master en physique de l’Ecole Normale Supérieure (ENS Ulm), titulaire d’un Master en Informatique de Stanford University (USA) et d’un MBA de l’INSEAD. Avant de fonder BlaBlaCar, Frédéric était chercheur scientifique pour la NASA aux USA et NTT au Japon. Frédéric est également pianiste et grand passionné de musique.

E – En 2006 vous créez un site de mise en relation pour covoitureurs, pour en faire en quelques années BlaBlaCar, une des pépites de la French Tech et la première Licorne tricolore. Quel a été le moteur de cette décision et de cet engagement ?

Au début, c’est surtout la dimension pratique qui m’a marqué, accroché. Je me suis dis mais comment une idée aussi simple et utile peut ne pas exister pour se déplacer ? À l’époque, je rentrais de Stanford en Californie où j’avais étudié la « computer science », la programmation informatique. J’étais sur le campus au moment où Larry Page et Sergey Brin venaient de créer Google. Cet environnement m’a transmis le virus de la startup. Quand j’ai eu l’idée d’un service de covoiturage en ligne lors d’un déplacement en voiture, je me suis immédiatement mis à coder la première version de l’application qui allait devenir BlaBlaCar.

E – La dimension « relationnelle » ou « conviviale » de cette entreprise était elle déterminante pour vous, ou était-ce un « avantage collatéral » ?

Elle l’est devenue et même très très rapidement. Il y a d’ailleurs ici plusieurs dimensions. La rencontre avec une personne qu’on ne connaît pas, qui n’est pas forcément évidente, mais qui crée aussi toute la convivialité de ce mode de transport. C’est pour ça d’ailleurs que nous incitons sur BlaBlaCar à choisir son indice de “BlaBla” : quand on s’inscrit sur BlaBlaCar, on choisit si l’on est plutôt Bla, BlaBla, ou BlaBlaBla selon que l’on souhaite bavarder plus ou moins pendant le trajet !

Mais il y a aussi la dimension sociale qui est incroyablement forte. Le covoiturage rend certains trajets possibles pour des personnes qui ne pourraient pas se déplacer autrement alors que c’est pourtant très important pour elles. J’ai eu plusieurs fois des parents divorcés qui me sont tombés dans les bras en me disant “Merci Fred, c’est grâce à toi que je vois mes enfants le weekend !”.

E – Comment voyez-vous du coup le vivre ensemble évoluer en France et est-ce un sujet déterminant pour vous ?

Je ne sais pas trop, c’est un peu philosophique pour moi. Je crois surtout que pour Vivre ensemble il faut parler, communiquer. C’est le plus important. Alors créer des ponts, mettre en relation oui, ça c’est important.

Tout cela m’a fait avancer et chercher du sens. Je m’investis d’ailleurs beaucoup au service du milieu associatif depuis que j’ai lancé avec une équipe de jeunes entrepreneurs le projet Captain Cause. C’est une entreprise à mission visant à faire financer le milieu associatif via les entreprises et leurs clients. L’idée est d’offrir un don plutôt qu’un cadeau, le « Dift » [NDLR : Dift est la combinaison du mot Don et du mot Gift, cadeau en anglais]. Nous créons des ponts, et donc de la communication, entre les entreprises, leurs clients et les associations. Nous ne finançons pas les grandes ONG mais plutôt des associations de taille moyenne qui effectuent un travail essentiel sur le terrain. Nous les sélectionnons à travers un comité d’impact. Je m’implique beaucoup sur ce projet auprès de cette jeune équipe, ils ont vingt ans de moins que moi. Cela occupe aujourd’hui plus de la moitié de mon temps. Plus de 200 entreprises ont déjà utilisé Captain Cause pour une centaine d’associations bénéficiaires, alors que nous existons vraiment depuis à peine plus d’un an !

E -Vous avez milité pour faire revenir en France des français expatriés, pour les recruter dans nos startups en lançant le mouvement “Reviens Léon” en 2015. Vous aimez vraiment la France ? Est-ce que ça a marché ?

Oui j’adore la France, la liberté qu’on y ressent, la qualité de vie, cet environnement qui nous permet d’apprendre, de créer, d’imaginer, de réaliser. Plus j’ai voyagé, plus j’ai adoré la France. J’ai vu comment cela se passait dans la Silicon Valley. C’est un environnement innovant technologiquement et très stimulant, qui peut devenir hypnotique, cependant je suis plus à l’aise en France et en particulier à Paris, où il existe je trouve une plus large pluralité des métiers, des préoccupations et des opinions. Je pense qu’en tant que français il est très instructif de voyager et de découvrir d’autres environnements pour se renforcer humainement et intellectuellement, mais qu’il est encore plus épanouissant de faire fructifier cette expérience dans un pays comme la France qui accueille et accepte aussi bien les différences et les idées qui font progresser la société.

Pour ce qui est de “Reviens Léon”, ça a très bien marché au vu du petit budget dont nous disposions ! Les effets chiffrés sont cependant très compliquées à mesurer, dans la mesure où il s’agissait principalement d’une campagne de prise de conscience, visant à sensibiliser nos expatriés sur le fait que l’environnement technologique en France était désormais très dynamique, et que les personnes étant attirées par la technologie pouvaient donc envisager de belles carrières dans des nouvelles sociétés tech françaises. C’est une réalité aujourd’hui puisque nous avons une trentaine de licornes en France. Mais c’est aussi un travail de longue haleine. En 2019 j’ai transformé “Reviens Léon” en “France Digitale Talent”, qui est un programme au sein de l’association France Digitale qui compte plus de 20 personnes à temps plein et que je co-préside. Nous déployons des trésors d’inventivité pour promouvoir notre écosystème français à l’international, tout en aidant fortement les sociétés tech en France à grandir sereinement en bénéficiant des connaissances mises en commun.

E – Vous aimez les médias ? Vous participez à plusieurs émissions de TV ?

J’aime les médias qui font découvrir et qui instruisent oui ! J’ai participé en tant que juré à la toute première saison de “Qui veut être mon associé” sur M6, justement pour contribuer à démocratiser l’entrepreneuriat, en prime time. L’entrepreneuriat est pour moi une source immense d’épa- nouissement, qui a pour bénéfice collatéral de créer des produits et services nouveaux utiles à la société contemporaine …du moins on l’espère !

J’ai ensuite lancé ma propre émission “Les Pionniers” sur BFM Business pour aller un cran plus loin : je vais chercher la créativité et l’émotion chez des personnalités de tous domaines, du sport à la l’art, de l’aventure aux médias. Tout pionnier a un “esprit entrepreneur”. J’ai ainsi reçu Claudie Haigneré, Tony Estanguet, Jean Le Cam, Bertrand Piccard ou Franky Zapata, mais aussi Marc Lévy, Plantu, Ardisson, Marc Simoncini et Lelouch ! Et en seconde partie d’émission je reçois des entrepreneurs qui viennent sur le plateau pour pitcher et obtenir des conseils pour développer leur activité. Tout cela, c’est aussi une belle manière de donner envie d’agir, et de mettre en avant la valeur travail, car on constate très vite que rien de grand ne se fait sans le combo gagnant passion + travail.

Toujours avec BFM Business, nous avons innové en lançant la mini-série “La Mission”, qui suit Captain Cause mois après mois, en même temps que le projet se développe. C’est la première fois qu’une série porte sur la croissance d’une startup réelle, en direct ou presque !

E – L’omniprésence d’Internet et l’irruption de l’intelligence Artificielle ? Plutôt dans le camp des optimistes ou des pessi- mistes ? Cela va plutôt nous isoler ou nous rapprocher ?

L’IA va surtout nous obliger à être plus intelligent que la machine. Ce ne sont que des outils. Nous devons garder la main pour trancher, douter. Initialement ces outils ont été conçus pour mieux nous connecter les uns aux autres, mais ils contribuent paradoxalement aujourd’hui à nous séparer, voire à nous diviser.

De manière plus visible aujourd’hui, on constate l’impact de l’évolution des réseaux dits sociaux. C’est à la fois fascinant et effrayant, car ils déploient aujourd’hui paradoxalement une face et l’on pourrait qualifier d’« antisociale » dans la mesure où ils génèrent une pensée en silos. C’est un comble pour des réseaux “sociaux” ! Ils créent des « chambres d’écho » qui amplifient un message univoque via différentes sources, qui gé- nèrent de l’attention mais renforcent les convictions de personnes qui les partagent déjà.

Initialement ces outils ont été conçus pour mieux nous connecter les uns aux autres, mais ils contribuent paradoxalement aujourd’hui à nous séparer, voire à nous diviser puisqu’ils ne nous donnent plus accès à la diversité des points de vue et enveniment souvent les propos. Ils sont donc aussi formidables que dangereux et je suis pour que l’on pousse une éducation maximale sur les impacts de ces nouvelles technologies, de ces nouveaux phénomènes de société.

E – Il paraît que vous aimez la musique et que vous pratiquez d’ailleurs plusieurs instruments. La musique adoucit-elle les mœurs et est-elle selon vous un moyen de participer au vivre ensemble ?

Oui j’ai fait 12 ans de violon et 15 ans de piano en conservatoire, et puis aussi quelques années de guitare et de batterie quand j’étais ado… J’écoute aussi beaucoup de musique, dans tous les styles. La musique est essentielle parce qu’elle rassemble et nous fait vivre des expériences universelles. C’est un langage. Je me souviens d’un voyage au Japon lors duquel j’avais fait de l’autostop. Mon conducteur ne parlait pas anglais, et moi pas japonais, mais nous avons pourtant chanté les Beatles ensemble !

Pour aller plus loin :
Lire l’article sur Captain Cause pages 34 – 35 de ce magazine.
Mission BlaBlaCar – Les Coulisses de la création d’un phénomène – Editions Eyrolles 2022 – 278 p “Les Pionniers chez Fred Mazzella” sur BFM Business :
https://www.bfmtv.com/economie/replay-emissions/les-pionniers-chez-fred-mazzella/
“La Mission” sur BFM Business : https://www.bfmtv.com/economie/replay-emissions/la-mission/
France Digitale : https://www.francedigitale.org
BlaBlaCar : https://www.blablacar.com
Captain Cause : https://www.captaincause.com

 

 

 

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