Diriger une fourmilière comme le Marché International de Rungis… Un défi qui peut frapper l’imaginaire des lecteurs. Un défi relevé depuis dix ans par Stéphane Layani. Haut fonctionnaire passé un temps par la Commission Européenne, il accélère la transformation de ce haut lieu de l’alimentation et se projette déjà vers 2030.
En visitant le marché Rungis, on a le sentiment de voir évoluer un village où tout le monde se connaît et travaille en toute indépendance. Pourtant, ce grand ensemble est administré par une structure, la Semmaris, qui en régit le moindre aspect. Comment cela se passe au quotidien ?
L’autorité organisatrice a un triple rôle. Elle aménage l’endroit. C’est son métier de base. Elle régule en définissant ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas l’être. C’est la réglementation commerciale et administrative. Elle est, enfin, l’animatrice de la marque Rungis. Comment cela s’organise au quotidien ? Assez facilement, en vérité. Nous sommes dans un monde de professionnels. En moyenne, 25000 acheteurs nous rejoignent chaque jour. Il faut les accueillir, s’assurer qu’ils disposent des services nécessaires, prévenir les éventuels soucis d’ordre public. En cela, je suis le chef d’orchestre d’un ensemble polyphonique très bien organisé.
Comment cela se passe quand un nouveau grossiste veut s’implanter sur le marché de Rungis ?
Nous commençons par lancer un appel d’offres sur le site du marché. Il consigne les principaux attendus, l’emplacement disponible, sa catégorie de marchandise, la superficie et les différentes contraintes. Nous nous assurons que les candidats sont compatibles avec le cahier des charges. Et au-delà, depuis quelques années, nous sommes très attachés à la responsabilité sociétale des entreprises. Nous avons donc un regard très attentif sur l’éco responsabilité, l’éthique, la qualité et l’équité des activités qui nous sont soumises. Cela ne fait pas de nous des militants jusqu’au-boutiste. Mais nous sommes des citoyens actifs, ainsi que des sourceurs.
C’est-à-dire ?
Rungis propose un million de références en produits frais. C’est un record. Et parmi ces références, nous nous assurons de mettre en valeur des produits de qualité et des variétés qui méritent de l’être. Cela réclame un véritable travail de terrain de la part de nos équipes. Partout, nous envoyons des membres du marché directement chez les agriculteurs ou dans les coopératives pour trouver les produits qui feront la diversité de Rungis. Et ça, les gens ne le savent pas forcément.
Quel est le grand défi de la logistique à Rungis ?
La logistique n’est pas du tout ce que croient les gens. C’est, en réalité, de l’intelligence partagée. De l’intelligence dans la transmission d’un produit de qualité. Nous sommes un maillon d’une grande chaîne. Elle doit être justement pensée pour avoir le moins d’impact carbone, le moins de rupture de charge. Elle doit être très efficace. Et quand elle l’est, les entreprises perdent moins d’argent et de denrées. Nous devons nous battre pour l’économie et pour un moindre impact écologique.
On parle beaucoup de circuits courts. Mais l’Île-de-France est vue comme une région en déficit de terres agricoles. Comment conjuguer ces deux éléments ?
En rappelant que l’Île-de-France ne manque pas, en vérité, de terres agricoles. Ce qui compte, c’est les chiffres. Rungis distribue près de 60% de l’agriculture locale de la région. Mais cette manne ne représente que 2,5% de l’alimentation des franciliens. Conclusion, la région produit trop peu de culture vivrière pour les 18 millions de personnes présentes dans le secteur. Il faudrait beaucoup plus que cela. Pour en revenir à la notion de circuit court, je me référerai à la définition validée à l’échelle européenne. Il s’agit d’un marché ne comptant pas plus d’un intermédiaire. À ce titre, on peut aller jusque dans l’orléanais et faire du circuit court.
En l’espace de 10 ans, le marché a beaucoup évolué…
En prenant mes fonctions, il y a une dizaine d’années, je voulais mettre Rungis au cœur de la gastronomie. Je voulais moderniser le marché et rendre cet écosystème rentable et profitable. Je voulais en faire un écosystème, un service public au profit du bon. L’offre a donc beaucoup évolué en portant le bio, en valorisant les acteurs locaux, en mettant en place un incubateur qui accueille aujourd’hui une quarantaine de porteurs de projets. L’un d’entre eux a d’ailleurs mis en place un composteur révolutionnaire qui permet de valoriser les déchets du marché tout en fertilisant les terres du pourtour de la ville. Tout cela résulte d’une vision qui continue de se développer.
Sur les dix prochaines années ?
Je crois que le grand combat qui vient est celui du maintien de filières agroalimentaires solides dans tous les secteurs. C’est difficile de nourrir les gens. Le monde a faim. Il faut donc s’employer pour être capable de lutter contre la crise des vocations dans nos métiers, de maintenir de beaux produits, de valoriser des patrimoines et des exploitations.
La rédaction